Discours de S.M. le Roi Mohammed VI au dîner de gala offert en son honneur par S.M. le Roi Juan Carlos 1er

Madrid le 18/09/2000

" Louange à Dieu
Que la prière et la paix soient sur le Prophète, sa famille et ses compagnons
 
Majestés
Excellences,
Mesdames et Messieurs
 
Je voudrais tout d'abord vous remercier pour l'accueil si chaleureux et les marques de considération que vous Nous avez témoignées depuis Notre arrivée en Espagne, pays voisin et ami.
 
Je souhaiterais également dire mon bonheur et mon émotion d'être à vos côtés en ce palais royal ou nos deux familles ont partagé des moments très forts.
 
Sa Majesté la Reine Sophie et Son Altesse Royale la Princesse Lalla Meryem ont été, tout au long de ces dernières années, les témoins privilégiés de l'exceptionnelle relation et de l'affection peu commune qui vous liait, Majesté, à mon Auguste Père, Feu Sa Majesté Hassan II, que Dieu le garde en sa sainte miséricorde.
 
Grâce à ces liens si profonds, et malgré les aléas de l'histoire, le Maroc et l'Espagne ont toujours su maintenir le dialogue et préserver la confiance.
 
Majestés,
 
Le Maroc, pays arabo-musulman ancre en Afrique, et l'Espagne, fidèle à toutes ses traditions et désormais aux avant-gardes d'une Union européenne en pleine expansion, réunissent toutes les conditions et bénéficient de tous les atouts pour initier, consolider et promouvoir une coopération exceptionnelle, ambitieuse et réaliste de part et d'autre de la Méditerranée.
 
Qu'a-t-on fait, Majesté, de ce rendez-vous que l'histoire et la géographie ont fixé à nos deux pays. Beaucoup, assurément, si l'on considère le chemin parcouru notamment sur le plan économique. Nos échanges commerciaux ont doublé en moins de dix ans, les investissements privés ont fortement progressé et près de huit cents sociétés espagnoles sont maintenant opérationnelles au Maroc.
 
Notre coopération bilatérale est désormais installée dans la pérennité et la récurrence des actions entreprises, grâce au cadre institutionnel rénové et pragmatique que nous avons su ensemble mettre en place et faire vivre.
 
Je pense, dans ce contexte, au traité historique d'amitié, de bon voisinage et de coopération signé à Rabat en 1991 et qui constitue un cadre exceptionnel de nature à renforcer et donner une impulsion à nos relations.
 
Je pense aussi au Comité Averroes, et à toutes les autres organisations qui s'efforcent de mobiliser nos sociétés civiles afin de promouvoir une meilleure connaissance et une entente réciproques pour briser les ultimes tabous et lever les derniers préjugés qui freinent encore et fragilisent parfois l'énorme potentiel d'affinités qui caractérise nos deux peuples.
 
Des progrès incontestables ont été accomplis dans les différents domaines de notre coopération et en particulier dans nos provinces du Nord. Mais ces progrès sont-ils à la hauteur de nos ambitions et les performances réalisées répondent-elles à ce partenariat stratégique, solidaire, volontariste et global auquel le Maroc et l'Espagne prétendent depuis si longtemps ?
 
Ma réponse, Majesté, est que nous n'avons pas encore atteint notre objectif, malgré toutes les avancées que je viens d'énumérer.
 
Nous sommes loin du compte parce que, trop souvent encore et à la moindre tension, c'est la méfiance qui revient et le doute qui s'installe.
 
Ensemble, nous n'avons pas encore réussi à créer un espace d'intérêts communs et complémentaires respectueux de toutes les facettes et de toutes les dimensions de nos souverainetés respectives.
 
Majestés,
 
Imaginons, l'espace d'un instant, un partenariat novateur, loyal et équilibré, inspiré par la raison et le progrès et où nos exigences mutuelles en termes de sécurité, d'intégrité, de souveraineté et de co-développement, seraient prises en compte.
 
Un partenariat basé sur un contrat de confiance responsable, ambitieux et crédible, mais qui reste à construire.
 
Cet objectif est réaliste car il se fonde sur les intérêts et les obligations des uns et des autres. Il est surtout légitime car il puise sa force dans nos attitudes et nos réflexes les plus profonds, modelés et façonnés par des siècles d'histoire commune.
 
C'est pourquoi, Majesté, le moment me parait venu d'aborder différemment les destinées de nos deux peuples. Des limites s'imposent naturellement à notre partenariat, dans les domaines de l'agriculture, de la pêche et de la circulation des hommes, des biens et des services entre le Maroc et l'Espagne. Ces limites et ces contentieux ne disparaîtront que dans un cadre revu et corrigé de notre coopération et de nos relations. Un cadre dynamique et ambitieux qui ferait résonner différemment, la légitimité de nos impératifs de souveraineté politique, économique et territoriale.
 
Il nous faut donc, ensemble, franchir cette ultime étape car, j'en ai pour ma part l'intime conviction, une fois disparues les cicatrices du passé, d'exceptionnelles énergies vont se libérer dans nos deux pays et le rythme et l'ampleur de ce que nous allons construire et conquérir ensemble, relativisera et gommera les dernières aspérités que l'histoire nous a léguées.
 
Majestés,
 
Ce nouvel horizon qui se dessine pour le Maroc et pour l'Espagne va bien au-delà de la seule dimension bilatérale de nos relations. Ce partenariat différent et volontariste que j'appelle de mes voeux, influencera, non seulement la relation entre le Maroc et l'Union européenne, mais aussi l'ensemble du processus euro-méditerranéen conçu à Barcelone il y a cinq ans.
 
Ce processus ambitieux reste toujours en attente de la percée politique susceptible de lui redonner crédibilité et réalité.
 
Nous partageons à cet égard, Majesté, une responsabilité qui peut être aussi une opportunité historique pour le rayonnement diplomatique et le leadership régional de nos deux pays.
 
J'évoquais tout à l'heure les aspérités négatives que l'histoire nous a léguées dans cette partie du monde. Mais il y a aussi les acquis et les atouts nés de cette même histoire, alors qu'une élite de penseurs d'Andalousie nous a laissé un patrimoine qui nous surprend encore par son humanisme, sa vérité et sa modernité à l'aube de ce troisième millénaire.
 
Nous sommes vous et nous, dépositaires de cet héritage et de ce patrimoine dont notre région a encore tellement besoin pour redonner ses chances au processus de paix au Moyen-Orient qui fut négocie et conçu, ici à Madrid, il y a bientôt dix ans.
 
Une partie du chemin a certes été parcourue et le Maroc y a apporté sa contribution. Mais l'essentiel est encore à faire avec le respect et la mise en oeuvre de tous les engagements pris, avec aussi la même justice, les mêmes droits et la même dignité pour tous. Je pense aux territoires arabes qui demeurent occupés et à l'Etat palestinien qui doit très vite rejoindre la communauté des Nations avec pour capitale Al-Qods Al-Charif.
 
Ce combat ne sera finalement gagné que si la confiance entre Palestiniens et Israéliens est restaurée.
Partageant une mémoire commune fécondée par le dialogue des cultures et des religions, nos deux pays peuvent, ici encore, apporter une contribution singulière et décisive, en témoignant, auprès de tous les acteurs de cette paix, d'une réalité autrement exaltante, celle de refus de la haine et du rejet de l'exclusion.
 
Majestés,
 
Le Maroc et l'Espagne doivent changer de rythme pour construire un espace de coopération de solidarité et de modernité. Un espace, je le répète, qui est riche de promesses et qui doit être l'affaire de tous, car le temps est passé où seuls les Etats s'estimaient ou se voulaient les seuls responsables de leurs destinées.
 
Le nouvel horizon que je viens d'esquisser doit mobiliser les corps élus, les associations, les entreprises, les médias, les universités et je me félicite, dans ce contexte, qu'en 2002 des manifestations exceptionnelles se dérouleront en Espagne, comme au Maroc, manifestations qui permettront une meilleure connaissance mutuelle de nos deux peuples.
 
C'est sur cette perspective que je conclurai, Majesté, en saluant, une nouvelle fois, l'exceptionnelle qualité, proximité et richesse de nos relations.
 
Je vous invite, Mesdames et Messieurs, à porter avec moi, un toast en l'honneur et à la santé de la famille royale d'Espagne et pour le bonheur et la prospérité du peuple espagnol.
 
Que la paix, la miséricorde et la bénédiction de Dieu soient sur vous. "